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    COORDONNÉES

    DANS QUEL ÉTAT EMMANUEL MACRON VA-T-IL LAISSER L'ÉCONOMIE DE LA FRANCE À SES SUCCESSEURS ?

    À la surprise générale, Emmanuel Macron vient de procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale, et plonge ainsi le pays dans le chaos. Dans le JDD du 16 juin Nicolas Sarkozy met en garde : « Cela plonge le pays dans un chaos dont il aura les plus grandes difficultés à sortir ».

    En effet, la situation est grave : d’un côté un groupe politique massif de gauche qui s’érige en Nouveau Front Populaire, et l’on sait les dégâts considérables faits à l’économie française par celui de 1936, ayant conduit à une forte dévaluation de notre monnaie et suivi, trois années plus tard, par la honteuse défaite de la France vaincue en six semaines par les armées hitlériennes ; de l’autre, un groupe de droite tout aussi important que le précédent, mené par un jeune leader de 28 ans totalement dépourvu d’expérience pour gouverner.

    Dans quel état Emmanuel Macron laisse l’économie de notre pays à ses successeurs ? Car c’est bien ce dont il est question, puisqu’il ne peut plus se présenter à la prochaine élction présidentielle, après deux mandats successifs à la tête du pays.

    En Europe, la France peut être considérée comme l’un des pays à l’économie la plus dégradée. Depuis quarante années, son budget est régulièrement en déficit, la balance commerciale est chaque année négative, la dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter au point d’être supérieure maintenant au PIB, et le taux de chômage se maintient inexorablement à un niveau très élevé.

    En conséquence, les Français sont inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants. L’agence américaine de notation Standard & Poor’s a de nouveau fait reculer d’un cran la note accordée à notre pays à la valeur de sa dette, soit AA-, et c’est mauvais signe.

    Qu’a donc fait Emmanuel Macron ?

    Un pays européen à l’économie des plus dégradées

    Quels critères choisir pour juger de l’état de l’économie d’un pays ?

    On peut songer à divers critères, mais il en est un qui s’impose d’emblée car il résume tous les autres : la situation d’endettement du pays, c’est-à-dire les dettes accumulées au cours des années. Normalement, un pays s’endette pour investir, et non pas pour boucler chaque année son budget. Pour procéder à des comparaisons entre les pays, et établir un classement, il faut se référer à la dette par habitant, et non pas à la dette en pourcentage du PIB, comme cela se fait habituellement.

    C’est l’objet du tableau ci-après :

    Dette par habitant en dollar
    Suède 17 165
    Danemark 20 338
    Pays-Bas 26 723
    Allemagne 31 457
    Luxembourg 35 220
    Finlande 37 796
    Suisse 38 518
    Norvège 39 582
    Autriche 40 105
    Grèce 40 300
    Grande-Bretagne 44 730
    France 45 548
    Italie 49 213

    (Source : BIRD 2022)

    Il est intéressant de voir les différences existant entre les pays les mieux gérés et les pays les moins bien administrés. Pour cela, comparons les quatre pays qui se trouvent, ici, en tête de ce classement, et les quatre derniers :

    Pays les mieux gérés Pays les moins bien gérés
    Suède Grèce
    Danemark Italie
    Pays-Bas France
    Allemagne Grande-Bretagne

    La Grèce vient en tête des pays à l’économie déprimée en raison de la très grave crise qu’elle a connue en 2008 : le FMI et la BCE sont intervenus à plusieurs reprises, et ce pays a failli être exclu de la zone euro.

    L’opposition entre pays les mieux gérés et plus mal gérés

    Nous nous en tiendrons à quelques caractéristiques clés.

    Les PIB par habitant

    Le PIB/capita est le ratio utilisé par les économistes pour mesurer la richesse des pays et les comparer.

    Pour l’année 2022 :

    PIB/capita en dollar
    Suède : 56 373 Grèce : 20 867
    Danemark : 67 790 Italie : 34 776
    Pays-Bas : 57 024 France : 40 886
    Allemagne : 48 718 GB : 46 125

    (Source : BIRD)

    Il ne faut pas s’étonner de voir que les pays les mieux gérés sont ceux aux PIB/capita les plus élevés, et la différence avec les moins bien gérés est importante : du simple au double.

    Les salaires mensuels

    Des statistiques existent, révélant les salaires moyens par pays. C’est dans les pays les mieux gérés que les salaires sont les plus élevés :

    Salaire moyen en dollar
    Suède : 5249 Grèce : 1181
    Danemark : 6100 Italie : 3457
    Pays-Bas : 4785 France : 3821
    Allemagne : 4449 GB : 4074

    (Source : JDN)

    On en est à 5000 ou 6000 dollars par mois, dans un cas, et à 3000 à 4000 dans l’autre.

    La satisfaction des habitants

    Depuis une dizaine d’années, les services de l’ONU procèdent à des enquêtes pour connaître le degré de satisfaction des habitants des différents pays. Ils publient chaque année un World Happiness Report.

    Ci-dessous le rang auquel se situent les pays dont nous examinons ici les performances :

    World Hapiness
    Suède : 6 Grèce : 58
    Danemark : 2 Italie : 33
    Pays-Bas : 5 France : 21
    Allemagne : 16 GB : 19

    Les habitants des pays les mieux gérés sont bien plus « heureux » et satisfaits de leur sort que ceux du second échantillon ; la Finlande vient en numéro 1 dans le dernier classement de l’ONU.

    La cotation des grandes agences de notation

    Trois grandes agences de notation jugent de la qualité des dettes des pays et des grandes entreprises, les notes allant de AAA à B, puis, ensuite de C à D.

    Pour les pays dont nous examinons ici la situation, on a les notes suivantes :

    Fitch Ratings
    Suède : AAA Grèce : B
    Danemark : AAA Italie : BBB-
    Pays-Bas : AAA France : AA-
    Allemagne : AAA GB : AA-

    Tous les pays de la première catégorie ont les notes les plus élevées ; pour ce qui est des autres, on voit que certains ne sont déjà plus dans la première catégorie, celle des A.

    Les critères explicatifs

    Quels sont, parmi les paramètres économiques dont on dispose, ceux susceptibles d’expliquer les raisons pour lesquelles des pays se rangent dans l’une ou l’autre des catégories ?

    Nous avons pu en identifier seulement deux, et ils sont déterminants :

    1. Le taux de population active des pays
    2. Le niveau de la production industrielle

    Les autres éléments fournis par les statistiques habituelles traduisent des effets, et non pas des causes, comme par exemple les taux de chômage, les résultats des balances commerciales, l’importance des exportations/PIB, les réserves de change, etc. Ce qui nous intéresse, ici, ce sont les causes.

    Le taux de population active des pays

    Il s’agit du nombre des personnes ayant un emploi, plus les chômeurs en recherche active d’emploi, rapporté à la population totale :

    Taux de population active
    Suède : 53,4 % Grèce : 43,5 %
    Danemark : 53,1 % Italie : 43,0 %
    Pays-Bas : 55,9 % France : 46,6 %
    Allemagne : 53,0 % GB : 48,2 %

    (Source : BIRD)

    Dans les pays prospères et bien gérés dont l’économie fonctionne à plein régime, les taux de population active sont très élevés, de l’ordre de 54 %. Dans les pays plus poussifs, la proportion de personnes qui ne sont pas au travail est plus importante. La France est de ceux là : les taux sont de l’ordre de 45 %, et non plus, comme dans le cas précédent, de 54%.

    En France, où le taux de population active est de seulement 46,6 %, les jeunes entrent tardivement dans la vie active. Le départ à la retraite est bien plus précoce que dans les autres pays. Beaucoup de personnes se tiennent en marge de la vie économique.

    Sur les listes de France Travail (ex Pôle-Emploi) : 5 368 500 demandeurs d’emploi, actuellement (toutes catégories confondues). Ces chômeurs, qui sont censés chercher du travail, vivent aux crochets de la collectivité.

    Avec un taux de population active de 54 %, comme c’est le cas des pays bien gérés, cinq millions de personnes de plus seraient au travail, soit sensiblement le chiffre des effectifs des chômeurs inscrits aujourd’hui à France Travail. Le PIB s’en trouverait majoré de 15 %.

    L’importance de la production industrielle

    L’autre élément discriminant est l’importance de la production industrielle. En effet, l’industrie est une activité créatrice de la richesse, elle est le secteur de l’économie où la productivité croît le plus vite. Par ailleurs, les économistes considèrent qu’un emploi créé dans l’industrie induit trois emplois dans les services.

    Pour établir des comparaisons entre les pays nous rapporterons leur production industrielle, telle qu’elle est mesurée par les comptabilités nationales, au nombre des habitants :

    Production industrielle/hab. en dollar
    Suède : 26 320 Grèce : 3421
    Danemark : 13 389 Italie : 8268
    Pays-Bas : 11 073 France : 6858
    Allemagne : 13 102 GB : 7698

    (Source : BIRD)

    Les niveaux de production industrielle sont très différents dans les deux catégories de pays : de l’ordre de 12 000 à 20 000 dollars dans un cas, et de 7000 à 8000 seulement dans l’autre. C’est l’essentiel à retenir pour expliquer les performances des pays examinés.

    La France a laissé se détériorer considérablement son secteur industriel qui ne représente plus que 10 % seulement du PIB, contre 23 % ou 24 % en Allemagne ou en Suisse. Elle est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, avec la Grèce…

    Que vont faire les nouveaux dirigeants ?

    Emmanuel Macron a augmenté la dette extérieure du pays de 870 milliards d’euros. Elle s’élève actuellement à 3088 milliards, soit 111,7 % du PIB. Dans les années qui viennent, son coût va représenter le premier poste du budget de la nation.

    Selon la définition du BIT, le chômage est certes en baisse, passé de 9,5 % à 7,4 %, mais le nombre réel des chômeurs inscrits à France Travail n’en reste pas moins extrêmement élevé, soit 5 368 500 personnes, toutes catégories confondues. Certes, la formation professionnelle a été relancée et reformée, le CICE s’est transformé en baisse pérenne des charges, et le Code du travail a été partiellement assoupli.

    Emmanuel Macron n’a pas considéré que la cause réelle des mauvaises performances de l’économie française provenait de la grave désindustrialisation du pays, alors qu’il avait été précédemment ministre de l’Économie. Et même la crise des Gilets jaunes, en 2018-2019, ne lui a pas ouvert les yeux, alors qu’elle était pourtant l’illustration des dégâts de la désindustrialisation : appauvrissement général de la population, raréfaction des emplois, et désertification du territoire.

    C’est la crise liée au covid en mars 2020, qui lui a fait prendre conscience de cette désindustrialisation. Et encore n’a-t-il perçu alors que le problème de l’insécurité de nos approvisionnements, en méconnaissant celui de l’appauvrissement de la population.

    Le secteur industriel, que Jean Fourastié, dans sa théorie sur les trois secteurs de l’économie a appelé le « secteur secondaire », est celui qui, et de loin, produit le plus de richesse, et où le progrès technique croît le plus rapidement : en France, il ne contribue plus à la formation du PIB que pour 10 % seulement, alors que dans le cas de pays prospères, comme l’Allemagne ou la Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %. La France est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce mise à part.

    Emmanuel Macron est passé complètement à côté du problème. Ce n’est que seulement en octobre 2021 qu’il a finalement lancé le plan France 2030, un plan pour faire naître des champions dans un certain nombre de domaines en y consacrant un budget de 30 milliards d’euros, auxquels sont venus s’ajouter un reliquat de 24 milliards provenant du plan France relance précédent. Mais ce plan Macron est de portée limitée car il s’applique à des domaines spécifiques, et son budget est très insuffisant. Il faudrait un plan bien plus vaste, un plan de dix années couvrant tous les secteurs industriels, sans discrimination entre « stratégiques » et « non stratégiques », et qui soit doté d’un budget chiffré à 150 milliards d’euros. Il faut, en somme, un plan à la façon de ce que fait aux États-Unis le président Joe Biden qui a lancé un vaste programme de Build Back Better, c’est-à-dire de reconstruction de l’économie du pays.

    Que vont donc faire les nouveaux dirigeants du pays ?

    Ils paraissent très éloignés du souci d’investissement pour reconstituer notre secteur industriel. Ils annoncent de nouvelles dépenses : 100 milliards d’euros pour le Rassemblement national, un peu plus de 200 milliards pour le Nouveau Front Populaire, selon du moins certains chiffrages rapides. Nous sommes donc très loin du souci de redresser l’économie du pays, et la réalité ne manquera pas de les ramener à la raison : pour respecter les règles du Pacte de croissance et de stabilité de la zone euro, il faudra 70 à 80 milliards euros d’économies d’ici à la fin 2027 afin de ramener le déficit du budget de la nation en dessous des fameux 3 %.

    Dans un communiqué, l’Alep met en garde contre « un risque majeur de décrochage durable ». Il faut espérer que l’on pourra en revenir rapidement à des règles élémentaires de bon sens.

    Par : Claude Sicard
    Source : Contrepoints publié le 20/06/2024

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