Le Centre hospitalier Louis Constant Fleming (CHLCF) de Saint-Martin a confirmé, jeudi 24 octobre, la suspension du Dr Huidi Tchéro, chirurgien orthopédiste et traumatologue , après plus de dix ans d'exercice sur l'île. Une mesure « à titre conservatoire » prise par la direction de l'établissement, suite à une alerte du Conseil départemental de l'Ordre des médecins (CDOM). La suspension court « pendant la durée de l'enquête destinée à effectuer les vérifications nécessaires ».
Une affaire remontant à 2016
Selon plusieurs sources, le parcours du Dr Tchéro aurait suscité des doutes dès 2016. Cette année-là, un professionnel de santé du CHLCF aurait alerté le Conseil de l'Ordre sur de possibles anomalies dans les qualifications du praticien . Faute de moyens d'enquête, le dossier aurait été transmis au Conseil national , qui aurait saisi un organisme spécialisé. L'Université Gamal Abdel Nasser de Conakry , en Guinée, aurait alors confirmé l'authenticité du diplôme de médecin présenté, et la vérification s'en serait arrêtée là.
Le médecin en question avait néanmoins obtenu une autorisation ministérielle d'exercer la chirurgie orthopédique sur tout le territoire français, validée par le Centre national de gestion (CNG), qui a été imposée à l'Ordre local. Il aurait ensuite réussi le concours de praticien hospitalier , renforçant ainsi sa légitimité professionnelle.
Rapports restés sans réponse
En 2022, plusieurs professionnels de la santé auraient de nouveau signalé à l'Ordre des témoignages de « pratiques douteuses » et de complications inhabituelles après certaines interventions. Ces signalements oraux n'ont donné lieu à aucune mesure formelle.
Il faudra attendre 2025 pour que l'affaire refait surface. Un document, rassemblant un ensemble d'éléments médicaux provenant d'un groupe de professionnels de santé, est alors transmis au CDOM. Le conseil ordinal saisit immédiatement l'ARS de Guadeloupe et le Conseil national de l'Ordre. Deux enquêtes parallèles sont ouvertes : l'une par la commission interrégionale Antilles-Guyane, l'autre par l'ARS. Toutes deux concluent cependant à l'absence d'insuffisance professionnelle .
Le tournant de septembre 2025
C'est une lettre venue de Guinée qui allait renverser la situation. Le 16 septembre 2025, le doyen de la Faculté des Sciences et Technologies de la Santé de l'Université Gamal Abdel Nasser de Conakry écrit au CDOM pour confirmer l'authenticité du diplôme d'État de docteur en médecine, mais nie formellement la validité du diplôme de spécialité chirurgicale : « En effet, le Diplôme d'Études Spécialisées en Chirurgie a été créé en 2023, ce qui signifie que le document présenté est un faux », précise la lettre officielle.
Forte de ces éléments, l'institution professionnelle a saisi le procureur de la République de Basse-Terre en application de l'article 40 du code de procédure pénale, pour « faux et usage de faux ». Le 23 octobre, l'Agence régionale de santé (ARS) a immédiatement informé la direction du CHLCF, qui a prononcé la suspension immédiate du chirurgien « à titre conservatoire », désormais interdit d'accès au bloc opératoire.
Réactions en chaîne
La sénatrice Annick Pétrus , qui dit suivre l'affaire « depuis plusieurs mois », a révélé avoir remis un rapport au ministère de la Santé dès mars 2025. « Notre population a été exposée à des procédures médicales douteuses, des vies ont été marquées, des familles blessées, des membres mutilés pendant plus de dix ans. Je le dis : ça suffit », a-t-elle déclaré dans un message public le 25 octobre. Et elle a conclu par un appel solennel : « J'invite toutes les personnes concernées à contacter les autorités compétentes afin que la lumière soit faite et que justice soit faite. Il appartient maintenant à la Communauté de décider si elle souhaite se constituer partie civile .
Le CDOM de Guadeloupe attend désormais la confirmation officielle du parquet pour déposer une plainte pénale contre le Dr Tchéro, pour faux, usage de faux, exercice illégal de la médecine et mutilation volontaire .
Une onde de choc dans le monde médical et parmi la population
Cette affaire, inédite dans la région Antilles-Guyane, met en lumière les failles du système de contrôle des diplômes étrangers . En France, les autorisations d'exploitation délivrées il y a plusieurs années sont rarement réévaluées, même lorsque les signalements s'accumulent.
Le Dr Huidi Tchéro, 48 ans, bénéficie toujours de la présomption d'innocence . Il n'a pas répondu à nos sollicitations à ce sujet. L'information judiciaire ouverte à Basse-Terre, confirmée par le procureur Xavier Sicot, devra déterminer si le praticien a sciemment utilisé un faux titre pour exercer la chirurgie orthopédique et traumatologique à Saint-Martin. À ce stade, aucune indication n'a été communiquée, ni sur la durée de la suspension, ni sur le calendrier de l'enquête.
Source : Faxinfo Saint Martin Caraîbes