Sans doute troublée par le dossier sur les retraites, notre Premier Ministre a dépassé les bornes. Elle s’est crue autorisée à condamner sans nuance les médecins qui ont reconduit leur grève cette semaine.
On peut critiquer son comportement puisqu’il suggère l’existence de deux sortes de grèves et de grévistes : d’un côté grèves responsables des cheminots, contrôleurs ou conducteurs, grèves des aiguilleurs du ciel, des enseignants, des permanents du spectacle, et d’un autre côté grèves irresponsables des médecins et autres nantis et rapaces, qui négligent leur devoir de soigner. Une grève responsable s’inscrit dans la lutte des classes, le progrès social est arraché grâce au courage des grévistes, une grève irresponsable n’est inspirée que par la cupidité insatiable de nantis ayant des revenus et des patrimoines hors du commun.
Deux logiques inconciliables
En fait ce qui déstabilise sans doute Madame Borne, c’est qu’elle a en tête la logique collectiviste de la santé publique, alors que l’exercice de la médecine commande une logique libérale. La santé publique a fait ses preuves, elles sont devenues évidentes et accablantes depuis des décennies. La médecine libérale a progressivement disparu, elle ne peut plus s’exercer comme naguère – tant pis pour les médecins proches de la retraite mais aussi pour les médecins jeunes qui ont répondu à une vocation.
La santé publique réglemente un prix à l’acte, la médecine libérale est honorée en fonction des personnes : le malade, le praticien. La santé publique est gérée comme une administration, la médecine libérale implique une relation personnelle. Le fossé n’a cessé de se creuser, et la position dominante de la santé publique a produit tous ses effets : concentration et bureaucratie. La concentration aboutit à assimiler santé et hôpitaux publics, de sorte que le médecin est devenu marginal, ou intégré de force dans le complexe, en devoir d’obéir à la bureaucratie. Cette bureaucratie est ruineuse, elle multiplie les démarches et les emplois inutiles, on sait que 37 % du personnel hospitalier n’est pas soignant. De la sorte les mêmes soins sont administrés dans les cliniques privées à des coûts inférieurs d’un tiers ou d’un quart. Evidemment les partisans du secteur public dénoncent l’obsession de la rentabilité et sont prompts à relever les erreurs et les scandales, et réclament la nationalisation de tout ce qui est privé – comme si les erreurs et scandales épargnaient l’hôpital public. On fait aussi allusion à la vocation de l’hôpital public de développer la recherche, mais beaucoup de chercheurs et praticiens quittent la France pour aller exploiter leurs talents ailleurs (aux Etats Unis en particulier). La concurrence est interdite dans la logique de la santé publique, elle est bénéfique dans la logique libérale, en médecine et en recherche scientifique comme ailleurs.
Pénurie de médecins : pourquoi ?
Une fausse lecture de la réalité relie les déserts médicaux au niveau des revenus et des avantages des médecins. La revendication pour des consultations et visites mieux payées serait-elle la réponse naturelle à la disparition des médecins « de campagne » ? Certains médecins peuvent le penser, des manifestants (naturellement apolitiques, intègres et désintéressés) ont défilé contre les grévistes avec des pancartes « money, money ». Mais il y a beaucoup à dire à ce raccourci.
Libérer la médecine
Toutes ces considérations peuvent sans doute paraître schématiques à l’excès. Mais précisément leur accumulation appelle une rupture, puisque le système actuel est pervers et perverti sur tant de points. Pour que la médecine redevienne libérale, il faut changer le système, et les grévistes auront peut-être dans les prochains mois la lucidité et le courage d’aller plus loin.
Ils peuvent s’inspirer des réformes préconisées par l’un de leurs collègues, au demeurant longtemps maire dans son village des Landes, et fondateur du Cercle Frédéric Bastiat, Patrick de Casanove. Voici ce qu’il écrivait dans Contrepoint le 29 juin 2022 , l’article était intitulé « Gérer l’hôpital comme une entreprise »
Les ordonnances de 1945 ont sorti le risque social (santé, retraite, chômage…) du marché et l’ont mis dans le domaine public. À partir de ce moment tous les soucis de la protection sociale sont liés à sa gestion publique, plus précisément politique. Plus de responsabilité personnelle, plus de libre choix, tout le monde est obligé d’entrer dans ce système. La création de la Sécurité sociale a détruit les solidarités spontanées qui sont les solidarités culturelles, cultuelles, villageoises, professionnelles, familiales…
[…] On entend souvent dire que la santé n’est pas une marchandise, ou qu’elle n’a pas de prix mais un coût. Ce sont des élucubrations sémantiques. L’important est de disposer d’informations fiables pour prendre de bonnes décisions. Or en économie ce sont les prix libres qui donnent ces informations. C’est grâce à eux que les soins seront disponibles et accessibles. Les tarifs administrés ne donnent des indications que sur la politique sanitaire. Le tarif peut être bas et remboursé et le soin inexistant faute de personnel ou de matériel par exemple. Cela impose la disposition de l’intégralité des revenus, le salaire complet, le libre choix de l’assureur (Sécu incluse), la liberté économique qui va au-delà de l’économie au sens contemporain.
Un système de santé performant repose sur une société saine, prospère et une énergie abondante et bon marché. Tout est lié, la moindre intervention de l’État contre la Propriété, la Liberté dont la liberté économique, a des conséquences néfastes sur tout le pays, particulièrement sur le système de santé… et sur la santé des Français.